Mama

J'ai en tête une lettre que j'aimerais envoyer depuis environ 10 ans, une lettre adressée à ma mère.

 

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                                                                         2 mai 2018

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Liebe Mama,

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C'est ton anniversaire aujourd'hui. Je pense à toi. Beaucoup. J'ai eu plusieurs moments d'hésitation avant de t'écrire cette lettre. Je t'en ai déjà écris deux longues auparavant, il y a 7 et 10 ans, mais j'ai jamais pris l'initiative de te les envoyer. Pas du tout par peur de ta réaction négative. Je questionne plutôt ma capacité d'analyse de la situation. Et peut-être je me projette dans ta situation sans pouvoir véritablement voir au travers de tes yeux. En tout cas, je crois que nous agissons de manières très différentes. Souvent j'ai eu dû mal à comprendre pourquoi tu subis autant ce qui t’arrive. Un jour tu m'as dit : "vous êtes actifs, ton père et toi, vous décidez de prendre l'initiative pour construire votre chemin de vie, alors que moi je m'adapte. Je prend une situation telle qu'elle est et je cherche à y trouver le meilleur confort. " C'est juste. Tu aimes te confronter à une chambre en désordre et tu aimes l'arranger avec tout son contenu pour qu'elle devienne chaleureuse et cosy. Combien de fois tu as fait des miracles dans mes chambres d'enfant. À partir de cette discussion, j'ai acquit une compréhension de ce que ça veut dire d'être différent les uns des autres. Même si encore aujourd'hui j'ai parfois dû mal à comprendre les choix de vie de certains, j'essaie de laisser chacun vivre selon sa propre perception et ses besoins. Et si la personne en question souffre? Comment faire ? Toi, est-ce que tu souffres dans la vie ou est-ce que cela fait simplement parti de ta constitution de subir les comportements d'autres personnes ? Je me demande vers quoi tu tends dans la vie. Veux-tu être heureuse ? Es-tu heureuse ? Quelles sont tes passions ? As-tu des désirs, des choses que tu aimerais encore faire ? Ces passions me préoccupent beaucoup en ce moment. Je crois comprendre qu'il y a deux sortes de passion : les passions joyeuses et les passions tristes. C'est Spinoza qui a établie cette pensée et elle a été reprise par Deleuze. Pour moi tu es une personne qui est chargée de passions tristes. Pour le dire concrètement ce que sont les passions tristes : "c’est l’effet sur mon corps d’un corps qui ne convient pas au mien, c’est-à-dire qui ne compose pas son rapport avec mon propre rapport." J'ai l'impression que ce rapport reflète assez bien la relation entre toi et Papa. Mais je crois que cela dépasse votre couple et il me semble que ce rapport s'entretient entre toi et ta vision du monde. Et pour pousser la réflexion des passions plus loin : "tant qu’un corps nous affecte d’une passion triste, c’est parce que nous saisissons cet autre corps comme incompatible avec le nôtre.  Ce même corps, si nous arrivons à le saisir sous l’aspect où il a quelque chose de commun avec le nôtre, à ce moment là, il ne nous affecte plus d’une passion triste. " C'est là qu'une passion joyeuse devient possible, quand deux corps se conviennent en trouvant des notions communes. Pour ma part, je cherche dans la vie ces passions joyeuses. Je veux me sentir en adéquation avec les corps qui m'entourent. Souvent je décide de partir lorsqu'un autre corps me paraît incompatible avec le mien. Mais cette recherche constante des passions joyeuses est douloureuse aussi. Dès qu'une disharmonie s'installe, le doute me ronge et je cherche la faute chez moi. C'est quelque chose qui t’arrive aussi n'est-ce pas ? Finalement ne sommes-nous pas pareils à beaucoup d’égards ? Je ne crois pas que tu veuilles entretenir uniquement des rapports de passions tristes. Est-ce moi qui est aveugle, qui n'arrive pas à voir que tu agis pour provoquer des passions joyeuses. Bien sûr. Ces corps en lien, cette notion commune, nous l'avons toutes les deux. Vous l'avez tous les deux, Papa et toi, dans certains moments dans la vie. Souvent en partageant des expériences sensibles d'ailleurs, liés à l'expression artistique. Je commence à comprendre en écrivant que tout cela se met difficilement dans des cases. Tu n'es pas une femme des passions tristes, moi je ne suis pas une femme des passions joyeuses. Nous voyageons constamment entre les deux en recherche d'un équilibre, d'une harmonie. Je m'en veux un peu de penser que je puisse parfois mieux cerner les choses que toi. Ce n'est pas très juste de ma part. Je suis convaincue que tu traverses cette vie avec autant de sensibilité que moi. Nous avons des manières différentes de faire parvenir notre vie intérieure aux autres. Tout simplement. Et encore une lettre qui me montre qu'aucun jugement de ma part peut être juste. Je peux voir des choses, je peux les analyser pour moi, en déduire des comportements pour moi et ma vie. Mais je ne peux pas te suggérer de faire mieux ou autrement. Tu fais déjà en fonction de qui tu es. Tu es aussi passionnée que moi. Tu désires. J'en suis sûre. Tu bouillonnes. Tu rêves. Tu es excitée. Tu pleures. Tu es mélancolique. Tout comme moi. Et tu agis de la façon qui te parait être la plus juste, la plus en adéquation par rapport à tes besoins. Tu sais autant jauger que moi, tu m'as appris à mesurer, tu m'as appris à écouter mon ventre, mon intuition. Tu sais tout cela. C'est toi qui me l'as appris.

Merci Mama.

Danke.

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Deine Lisa.

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