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Fondation

nom féminin

(latin fundatio, -onis)

Action de fonder un pays, une ville, une institution, etc., d'en établir les bases.

La femme gelée

Sur quelles fondations construisons-nous notre vie ?

Nous grandissons dans des contextes. Celui de nos parents, de notre environnement géographique, le bain social, la culture judéo-chrétienne.

En tant qu'enfant, trois choses importent le plus : nous-même, notre perception des choses et l'éducation par nos parents.

 

Annie Ernaux parle dans La Femme gelée de son enfance en tant que fille dans les années 1940, 1950 dans une France d'après guerre. Je fais le même constat que dans En toute honnêteté : l'auteure expose sa vie et en lisant ces écrits je tisse constamment en parallèle l'histoire de ma vie. Je me mets à refléter sur mon expérience en tant que fille, mes découvertes, mes convictions à dix ans et en réunissant les deux fils d'histoire tout prend plus de sens.

Les citations de la colonne droite sont celles d'un récit qui démontre la confrontation du savoir d'une jeune fille aux fondations d'une société dans laquelle elle grandit. Comment unir nos perceptions intimes avec le discours quasi uniforme du monde des adultes ?

Il me semble que cette confrontation nous la vivons constamment, et encore en étant adulte. Les questions du juste et du faux nous suivent partout. Nous sommes sans cesse en train d'évoluer dans cet entre-deux en essayant de trouver le meilleur accord. A 20 ans je veux me marier, mais je ne sais même pas pourquoi. Je veux avoir des enfants sans ressentir le besoin instinctif. Je commence à dégager lentement la différence entre intimité et société. Je me rends compte que la notion du plaisir est directement lié à mon intimité et n'a que peu de choses en commun avec l'éducation sexuelle reçue dans les magazines, la télé ou les films. En cherchant à savoir ce que c'est l'orgasme, je me rends compte que j'en ai depuis que je suis toute petite.

Virginie Despentes va encore plus loin dans son essai King Kong Theorie. Elle parle de fantasmes qui existent, qui sont répandus mais deviennent rarement un sujet de discussion. Elle parle des fantasmes du viol ou d'être prise de force qui alimentent l'excitation féminine. Son constat est le suivant : ce fantasme n'est en aucun cas lié à notre naturel, notre constitution ou nos hormones mais simplement fondé sur la culture judéo-chrétienne. L'image de la vierge Marie en souffrance, des saintes, attachées, brûlées vives, des martyres sont devenues des sources d'identification pour les femmes vivant dans cette culture. Nous construisons nos désirs en fonction de notre environnement. Et elle va plus loin encore en déduisant si lucidement que le désir de la soumission range les femmes de manière "quasi-naturelle" du côté des obéissants. Nos désirs inculquées évitent que nous aspirons vers la position du pouvoir.

 

J'entends le texte de Virginie Despentes pour la première fois dans la mise en scène King Kong Theorie d'Émilie Charriot dans la bouche de Julia Perrazini.

 

Je suis sonnée.

Bouche bée.

 

Je réalise précisément à ce moment là à quel point nous sommes contenues dans des fondations en béton armé. Même nos désirs, une partie de notre intime personnel à nous, sont une somme résultante de constructions culturelles, d'éducation et puis surement de naturel et d'instinct animal.

Puis-je remettre en question mes désirs ?

Les interroger ? D'où viennent-ils vraiment ?

Mon sujet de recherche est devenu un terrain miné. Je constate que notre intimité profonde est infiltrée, impure, pas que nous-même. C'est quoi d'ailleurs, le soi-même ?

Va falloir faire avec, ma belle.

 

 

La femme gelée d'Annie Ernaux, Folio, 1981.

p.31

Mais je cherche ma ligne de fille et de femme et je sais qu'une ombre au moins n'est pas venue planer sur mon enfance, cette idée que les petites filles sont des êtres doux et faibles, inférieurs aux garçons. Qu'il y a des différences dans les rôles.

p.33

Être une petite fille c'était d'abord être moi, (...).

Une petite fille qui cherche le plus de plaisir et de bonheur sans se soucier de l'effet produit sur les autres.

p.42

Le "mien", on dit entre copines et cousines, ne ressemble jamais tout à fait au "tien". Il y avait celles qui montraient et celles qui regardaient, celles qui se laissaient toucher et celles qui touchaient. (...)

C'est le "ça" pour tout. Bientôt on sera "comme ça", formée disent les grandes personnes, plus tard on pourra "faire ça".

p.44

Longtemps pour moi tout se joue en surface, que le petit couloir aux volets fermés. (...)

L'état suivant de l'histoire m'effarouche, ai-je deviné, ma l'a-t-on murmuré, les sources du savoir m'embrouillent, c'est le trou humide à pipi et à enfants qui servira, pas la petite maison rouge. Fini de mimer, l'expérience sera douloureuse. Désorientée un temps que la partie important de mon mien soit un souterrain où je n'ai jamais senti aucun picotement, un creux muet et invisible.

p.46

Voyager et faire l'amour, je crois que rien ne me paraissait plus beau à dix ans.

King Kong Théorie de Virginie Despentes, Grasset, 2006.

p.51.

Je dirais que c’est un vestige du peu d’éducation religieuse que j’ai reçue, indirectement, par les livres, la télé, des enfants à l’école, des voisins. Les saintes, attachées, brûlées vives, les martyres ont été les premières images à provoquer chez moi des émotions érotiques. L’idée d’être livrée, forcée, contrainte est une fascination morbide et excitante pour la petite fille que je suis alors. Ensuite, ces fantasmes ne me quittent plus.

p.52

Ces fantasmes de viol, d’être prise de force, dans des conditions plus ou moins brutales, que je décline tout au long de ma vie masturbatoire, ne me viennent pas « out of the blue ». C’est un dispositif culturel prégnant et précis, qui prédestine la sexualité des femmes à jouir de leur propre impuissance, c’est-à-dire de la supériorité de l’autre, autant qu’à jouir contre leur gré, plutôt que comme des salopes qui aiment le sexe. Dans la morale judéo-chrétienne, mieux vaut être prise de force que prise pour une chienne, on nous l’a assez répété. Il y a une prédisposition féminine au masochisme, elle ne vient pas de nos hormones, ni du temps des cavernes, mais d’un système culturel précis, et elle n’est pas sans implications dérangeantes dans l’exercice que nous pouvons faire de nos indépendances. Voluptueuse et excitante, elle est aussi handicapante : être attirée par ce qui détruit nous écarte toujours du pouvoir.

Citations

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