Temps
nom masculin
(latin tempus)
Notion fondamentale conçue comme un milieu infini dans lequel se succèdent les événements
Mouvement ininterrompu par lequel le présent devient le passé, considéré souvent comme une force agissant sur le monde, sur les êtres
Le temps de désirer
En termes de temporalité, le désir me paraît être d'une nature courte et instantanée. Le temps qu'une idée naisse. Le temps d'un amour qui débute. Le moment de faire l'amour. Plus ou moins court sur l'échelle d'une vie.
Mon désir est comme un mouvement de va-et-vient, comme les vagues de la mer qui atteignent la plage. Il vient. Il part. C'est dans la nature humaine de désirer : L'être humain est fondamentalement un
être désirant. Par le conatus, sa nature le pousse sans cesse à désirer*. Gilles Deleuze définit le conatus (littéralement effort) par une puissance naturelle, c'est-à-dire, une puissance que nous effectuons à chaque instant, sans effort particulier.
Je peux faire venir le désir, le provoquer en me mettant à écrire ou à lire, par exemple les fragments que j'ai déjà réalisé. Il peut aussi tomber d'un coup suite à une réflexion. Le désir sexuel vient en regardant certaines images, en dormant, en rêvant, en proximité du corps amoureux. Pour rester dans la thématique du désir créatif, je constate que la temporalité est courte. Un art qui convient pour moi à cette temporalité est la photographie : je vois un motif, je désire prendre la photo et je capte le moment avec ma caméra. En peinture, je me mets à peindre dans un instant de désir, si possible, et je le mets sur la toile grâce à l'énergie que me donne le désir. Le rendu est direct. J'admets que cela reste un exemple un peu théorique, la peinture et la photographie se préparent comme la danse, le jeu d'acteur ou la mise en scène. Mais particulièrement la mise en scène convoque des temporalités de désir étonnantes. La phase de l'écriture d'un projet de création consiste pour moi à définir un moment de désir comme point de départ. Ensuite je dois faire évoluer mes idées et réflexions tout en cherchant à alimenter mon désir. Souvent cela passe par l'ouverture de nouvelles sources de désir, puis je connecte ces différentes inspirations en un propos général. Par exemple, je commence cette création avec le désir de créer une pièce à partir de Phèdre de Yannis Ritsos, puis j'ajoute à cela mon désir envers le rap feminin, les écrits d'Annie Ernaux et de Virginie Despentes, la poésie de Kate Tempest. Je superpose ces différents désirs pour en créer un grand ensemble, plus fort et plus résistant au temps, à l'ennui ou à l'esprit critique. La difficulté de cette phase d'écriture est de garder les désirs en vie et comme le désir a une temporalité plutôt courte et instantanée, la tâche est exigeante. Je suis convaincue que ma solution de rassembler plusieurs sources de désir n'est qu'une option parmi mille. Peut-être une autre façon de prolonger un désir est de creuser de plus en plus profondément un sujet précis. En période de répétition sur le plateau, la difficulté se situe pour moi dans le fait de confronter des désirs plutôt théoriques à la réalité du plateau et à l'équipe artistique. Comment les acteurs vont-ils réagir aux propositions ? Comment intégrer tout le monde dans mon désir très individuel ? Je pense que le fait d'intégrer les collaborateurs dans la phase de réflexion peut être un moyen pour brouiller les frontières entre la page blanche et le plateau. Après avoir répété un certain temps, le désir sera à nouveau mis à l'épreuve. Comment puiser une vraie source de désir dans ce qu'on voit et joue en boucle ? Comment créer de la surprise, du nouveau ? Un peu comme un couple qui se connaîtrait par cœur et qui tenterait de retrouver le peps dans le lit. Ma solution dans les deux cas est, aujourd'hui en tout cas, de rester ouverte sur le monde et chercher dans ce qui nous entoure, ce qui fait débat, des thèmes de désirs potentiels qui pourraient encore se greffer au projet de création.
*Le miracle Spinoza de Frédéric Lenoir, p. 165-166.
Une des notions les plus essentielles de la philosophie éthique de Spinoza était le conatus, l'effort que nous faisons pour persévérer et grandir dans notre être. (...) C'est par lui que Spinoza définit la volonté et le désir.
Le désir, c'est cet appétit, cette puissance, cet effort qui nous fait rechercher consciemment telle ou telle chose.
Éthique de Spinoza, III, définition des sentiments, 1, p.469.
"Le désir est l'essence de l'homme".